CE TEXTE N'EST PAS TERMINE

Le contrat unilatéral

CE TEXTE N'EST PAS TERMINE

Samuel poursuivait deux quêtes parallèles. Souvent, comme un train suit ses deux rails, il ne savait sur lequel des deux ses actes le poussaient. Ayant atteint l'âge approximatif de cinq ans, il commença confusément à sentir que sa destinée devait être exemplaire. Il voyait dans sa vie future la certitude d'événement spéciaux et particuliers, qui devraient leur avènement à sa personnalité unique.

Tant de promesses devraient être conservées. C'est ainsi que Samuel se mit en chemin d'attendre. La patience le récompenserait. Et il attendit, il attendit que quelque chose lui arrive. Un jour, se disait-il, lorsque mon carnet (c'était une image, naturellement, il était bien trop paresseux pour remplir les pages trop vides d'un journal), lorsque mon carnet sera suffisamment plein, je viderai le trop plein sur du papier. Et Samuel se destinait, avec autant de certitude qu'une absence totale de volonté, à écrire.

Il n'était pas écrivain, naturellement. Mettre en page les épisodes d'une vie relevaient plutôt de la simple retranscription. C'était un travail de scribe. La véritable écriture se déroulait plutôt dans la recherche du matériau. La plus extrême sincérité, le plus sincère scrupule, alliée à son ambition latente, le poussaient à susciter les épisodes dans lesquels il n'aurait plus qu'à puiser. Les voilà : la galerie de portraits, les filles folles, les coïncidences, les situations impossibles, les drames romanesques. La vie était bien plus étonnante que la fiction. Il éprouvait pour celle-ci un ennui profond. En somme, face à la vie, la littérature était une perte de temps.

Samuel vivait. Il vivait pour que les aventures d'Arth puissent s'écrire. Il vivait pour qu'Arth vive.

*

Mais la vie d'Arth ne pouvait être écrite pour elle-même. Il fallait à Samuel un Destinataire particulier, un Lecteur. Muet, peut-être. Peut-être ne lirait-il pas une ligne de son oeuvre, peut-être la divulguerait-il sans égards. Peut-être enfin serait-il un véritable complice de la progression de l'écriture, de laquelle il serait le moteur involontaire.

Samuel avait, comme souvent, conclu un pacte unilatéral. Son cocontractant, non concerné par les termes de la convention, devenait une sorte de victime. Le projet lui paraissait grandiose.

*

Samuel remonta la rue xxx, perpendiculaire à l'avenue des Ternes. Il avait la sourde conscience de la suivre depuis déjà plusieurs minutes. Elle admirait les détails de l'église anglaise xxx. A travers les jumelles accrochées à son cou, elle inspectait les cornes des gargouilles, leurs langues sorties et leurs yeux exorbités. Les talons de ses bottes claquaient sur les pavés du parvis. En redescendant, son regard se porta sur le portail orné de chardons métalliques. Un couple de jeunes mariés apparu suivi d'un petit nombre de convives. Samuel reconnu Géraldine. Il l'avait quitté deux ans plus tôt, sur le quai du métro. Ils venaient de passer deux heures et demie allongés sur la moquette de son studio, dans la plus désespérante inactivité.

Il l'avait admirée durant toutes leurs études de droit. Une fille si brillante et si courtisée ne pouvait lui porter un intérêt véritable. Il s'était estimé heureux d'avoir pu devenir son ami. Il avait été flatté lorsqu'elle avait prolongé leur discussion au café, pendant que ses parents l'attendaient pour célébrer son anniversaire. Il avait été étonné de recevoir de temps en temps ces cartes de jeune fille en fleur, dans lesquels chantaient des rossignols, et se déroulaient de longues promenades solitaires au bord de la mer, qui lui faisaient tellement de bien. Et puis un soir, après un dîner auquel il avait eu l'insigne privilège de figurer parmi les intimes, elle lui proposa de rester. Elle allume la radio, ils s'assoient sur le tapis du salon. Elle lui permet de la prendre dans ses bras tandis qu'elle lui donne le dos; elle regarde par la fenêtre. Samuel sait ce qui doit se passer : il doit l'embrasser dans le cou, puis sur l'oreille (Il faut toujours embrasser l'oreille). Les journaux féminins recommandent aux hommes la plus grande tendresse, et la plus grande attention au plaisir féminin. Samuel a lu tous les articles avec méthode. Il sait ce qu'attend Géraldine. C'est d'ailleurs parce qu'il est très au fait des vraies relations homme-femme, et qu'il est sympathisant de la cause féminine, que Géraldine l'a introduit dans sa cour. Pendant le dîner, il a reconnu avec conviction ne pas avoir honte de pleurer. Sa voisine de table a souligné, souriant à la maîtresse de maison : "Enfin un homme qui reconnaît franchement ses faiblesses". Samuel en a terminé avec le cou. Il doit passer aux oreilles. Géraldine se retourne et assène sans pause:

-"Dis-moi une chose, es-tu amoureux?".

Malédiction! Imprévu. Non mentionné dans aucune rubrique. Samuel ne sait pas encore que cette parole doit être ignorée.

-"Je ne sais pas".

Géraldine se dégage, pointe un objet sur le bord du tapis. Il a les clefs en main, le manteau sur le dos: "Bonne nuit". Ce lundi là, Samuel descendit de Montmartre à la Bastille à pied dans le froid, pour se punir. Mardi, elle apprit qu'il était amoureux. Mercredi il lui avoua qu'il ne l'avait jamais été. Jeudi elle proposa de tout continuer comme avant. Vendredi ils marchaient main dans la main. Samedi elle était chez lui, allongée sur la moquette bleu pétrole. Ses cheveux avaient l'air gras. Devait-il embrasser ce visage empâté? Pourquoi avait-elle pris sa main pour la poser sur son sein gauche? Était-ce un indice valable de ce qu'elle voulait vraiment de lui? Sur le quai du métro, à la station Saint-Sébastien-Froissard, ils convinrent qu'il valait mieux arrêter là. Il sourit. Elle était charmante. Elle sortit juste quand le métro sonnait. Elle lui manquait déjà.Géraldine évoluait dans sa robe blanche. Son époux la tenait de sa main gantée de beurre frais, droit dans son frac gris clair. Elle ne fut pas étonnée de voir Samuel. Elle était heureuse. Il avait pu venir. Il pouvait repartir.

Une de moins, se dit-il. A moins qu'elle ne divorce bientôt, ou que son mari ne disparaisse brutalement à brève échéance (et encore, il faudrait compter un délai de viduité) elle est perdue pour la liste des femmes idéales. La recherche de nouvelles rencontre était stérile. Quand rencontrerait-il la femme de sa vie? Peut-être la connaissait-il déjà. En réalité, la liste des femmes idéales était celle sur laquelle il inscrivait les caractéristiques des femmes dont il avait été amoureux. Il suffirait de les retrouver, et selon leur évolution, de choisir celle qui correspondait le mieux. Cette quête, Arth serait chargé de la relater. Il aimait le terme relater, qui lui faisait penser à la fameuse"Brève Relation de la Découverte des Indes". Jusqu'à présent, Brève Relation était bien le fil directeur de ses rencontres.

*

Samuel avait déjà eu cette idée dans le passé. C'était Trinité qui la lui avait suggérée. Trinité avait été affublée de ce nom par des parents acharnés, amateurs de calendrier; ils avaient provoqué un accouchement prématuré uniquement pour lui donner ce nom. Elle avait gardé cet acharnement dans chaque instant de sa vie. Elle était capable de déployer la même énergie disproportionnée pour choisir la couleur de trombones que pour récupérer un amant volé, dont le harcèlement, nocturne comme diurne, finissait par rendre sa présence permanente, évidente, indispensable. Ce trait de caractère, elle le partageait avec Samuel. Chez eux la base était flottante, les fondations étaient fumeuses, les assises sablonneuses. Mais la superstructure pouvait être démesurément renforcée. Lorsqu'un objet réussissait, sans qu'on n'en connaisse jamais la raison, à déployer leur volonté, ils faisaient preuve d'une obstination obsessionnelle et d'un perfectionnisme destructeur. Samuel devait trouver la réceptrice idéale, passive et investie, envahie de l'idée qu'il s'était faite d'elle. Ce sont les personnalités les plus vides qu'il est le plus facile de remplir. On ne farcit un poulet que vidé de ses entrailles. C'était une explication facile à ce qui paraissait être un paradoxe. Il s'entichait toujours de ces cas, personnages à facettes, polies, réfléchissantes, dont il pensait tirer des trésors, et qui en réalité ne laissaient pas sortir la moindre lumière qui eut pu l'éclairer. Chacune était attendrissante dans son histoire tragi-comique, chacune était héroïne de sa vie; elles étaient marquées dans leur aspect physique, elles portaient leur étendard sur le corps. Les armes importaient peu, la splendeur du blason était essentielle. Arth n'aurait pas hésité un instant entre le charbon ardent et la pierre précieuse. Margaret avait eu le charme des contraires, c'était l'innocence dissimulant l'exhibition, Deborah avait eu l'exubérance du plastique et du métal, Lhynne avait eu l'attrait des cheveux en bataille et de la négligence soignée, Sirène... Sirène était trop proche, il ne s'en souvenait plus.

*

Samuel alluma l'amplificateur. Il était encore fier de sa nouvelle acquisition, un objet anglais et sobre, dont l'aspect devait refléter l'image sonore fidèle et puissante qu'il devait restituer. Il introduisit le disque dans le lecteur, et posa la pochette bien ouverte, en deux, sur l'étagère. C'était elle. Il avait perdu son visage depuis une semaine, et voilà qu'elle apparaissait sous les traits de ce chanteur noir à moustaches des années soixante-dix, coiffure "afro", costume rouge vif à étoiles dorées, chemise blanche et noeud papillon noir qui lui mangeait le cou jusque sous le menton. Pour le reste, elle était là: ces pommettes saillantes, ces sourcils épilés montant vers les oreilles, une bouche sensuelle aux lèvres épaisses, et une sorte de brume dans le regard, qui lui donnait un air moqueur et absent à la fois. Absente, elle l'était depuis exactement sept jours. Était-ce de la moquerie? Son défaitisme naturel le poussait à le croire. Et pourtant, son ego cherchait des excuses à ce comportement inattendu. Un soir cela avait été la rencontre. Le lendemain le premier baiser dans le froid. Elle s'était éclipsée le jour suivant, et il était resté avec ce souvenir et la promesse d'un appel. Appeler n'était pas pour elle un exercice difficile. Elle s'était fait offrir ce téléphone portable avec l'ambition de ne jamais rater un coup de fil. En fait, elle attendait l'amour par le téléphone, et même à trois heures du matin, il lui semblait possible de se faire demander en mariage par ce même canal. Le contact en face à face demandait d'autres efforts. En toute logique, ce silence avait tous les goûts du désastre. Samuel ne faisait que les égrener. Elle pouvait s'être rendue compte qu'il ne correspondait pas du tout à son attente. Il n'avait même pas de télévision, pas de voiture, aucun de ces signes de la modernité que certains trimbalent avec ostentation. Son téléphone même était désespérément relié à la terre par ce fil en spirale. Il se rappelait courir après sa voiture téléguidée, pendant que ses camarades dirigeaient magistralement leur véhicule télécommandé, juchés sur le banc du trottoir. Télécommandé. Voilà ce qu'il ressentait. Elle pouvait être très malade, la pauvre. Elle qui avait la peau si blanche, et le teint si délicieux. Le vent de Deauville pouvait être si mordant. Aurait-elle été emportée par une lame de fond? Il pouvait s'imaginer une lame de fond bien tranchante, et puis il ne savait pas vraiment ce que c'était, une lame de fond. En aucune façon elle ne s'approchait trop près de la mer, le sable aurait sûrement rongé ses bottes de cuir. L'accident de voiture apparaissait plus approprié, plus probable, et puis aussi horrible. Toute cette chair déchirée et brûlée. La Honda Civic si bien entretenue, les lunettes de soleil écrasées par la main sectionnée par une portière. Il en avait la chair de poule. La vitesse malgré ce temps de pluie, les lunettes dans le sac, le dérapage dans le virage en les retirant avec aigreur. Quelle tristesse qu'elle disparaisse juste quand il avait commencé à la connaître. Il n'avait pas même eu le temps de prendre des photos, de réunir des indices, de rapporter des preuves, de préparer des souvenirs. Des photos, il avait pourtant fouillé le lourd tiroir de la commode Empire de sa grand-mère. Un meuble aux allures de portique de temple, aux colonnes de marbre gris, un fronton plaqué de bois rare, le tablier de marbre se reflétant dans un miroir aux bordures dorées et feuillues. Il avait affronté les deux aigles qui gardaient l'entrée du tiroir. Ils étaient apprivoisés. Il avait passé tant d'après-midi à l'abri de leurs becs, dans l'enclos du temple. Non, le plus compliqué, dans ses prévisions, serait de s'emparer d'une photographie sans être pris. Il suscita la curiosité en fouillant dans le magma où flottaient son père, à jamais jeune et soucieux, son oncle, toujours railleur, sa tante, bienveillante et rongée, et la quatrième, qui passait bien pour la plus jeune. C'était oublier les grand-oncles, les grandes-tantes, les costumes marocains dans des salons idoines, les faux décors jaunis, un monde stratifié où les étalons de datation passaient par les teintes de couleur, de noir et blanc, de sépia et les variations de format, jusqu'à donner ces scènes encombrées de personnages dans un rectangle microscopique. Sirène n'y était pas. Son grand-père y figurait en bonne place; le frère de la grand-mère de Samuel. En remontant dans la pyramide, ils partageaient leurs arrière grand-parents. Il l'avait toujours connue. C'était un objet d'acharnement. Peu de changement, à bien y réfléchir. Sa maman la traînait là le Samedi, jour de la sanctification de l'oisiveté, lequel laissait tout loisir de refaire le monde, se disputer, se réconcilier. Avec Frederick, son acolyte, son cousin germain, il la poursuivait à travers l'appartement armé d'un couteau et d'une fourchette, il l'enfermait dans la chambre sombre au fond du couloir froid et à la moquette râpée. Elle n'opposait qu'une terreur agacée et réfléchie, ce qui augmentait plutôt l'acharnement frustré de Samuel. Il avait été frappé de son amnésie à l'endroit de cet épisode répété et, croyait-il, suffisamment pénible pour l'avoir marquée. Cet oubli devait être le signe d'un enfouissement profond, plus redoutable sans doute que la rancoeur ouverte à l'encontre d'un aîné persécuteur. La chambre du fond était la plus marquée de souvenirs. Le papier peint à rayures bleues et blanches, orné de frises, les rideaux lourds, les tapis marocains rouges, décorés de motifs de toutes les couleurs, les couvre-lit en coton côtelé en vagues, bleu pâle. Une armoire dominait la pièce. C'était son promontoire lorsqu'il arrivait à grimper au sommet après s'être hissé sur le frigidaire adjacent.

Samuel joint les deux mains, les deux bras tendus bien parallèles. Il détend soudainement les jambes. Sa tête heurte le tapis bleu d'eau lisse. Il a réussi son plongeon, il faut maintenant arriver de l'autre côté de la piscine sans respirer. La dernière fois, il a dû remonter suffocant à deux brassées du bord. Avec les palmes, c'est un jeu d'enfant; cette fois, c'est sans les palmes qu'il bat son record. Sous l'eau, il ouvre les yeux. Il faut essayer de rester le plus près possible du fond, même si la pression pèse sur les oreilles, et puis, de l'autre côté, il a pied, il remonte le fond en pente, les carreaux sont bleu pâles, le soleil brille fort cet après-midi, si fort qu'il en devient silencieux aujourd'hui, la lumière dévie en lambeaux sur le chemin; l'eau est plus froide au fond, et puis elle se réchauffe là où il a pied, là où il remonte, s'accroche au rebord, se traîne dans l'herbe coupante, ferme les yeux. Il est tiède et humide, le souffle court. Samuel est content de lui-même. Pour le reste de la journée, il a prévu de faire l'aller-retour avec les palmes. La salle de bains bleu-marine donne de plein-pied sur le jardin; elle sent la crème à bronzer et le renfermé, il y fait plus frais; c'est là qu'il entrepose ses palmes noires, qui deviendraient brûlantes s'il les laissait dehors. Samuel se souvient qu'il a une soeur. Elle joue dans la courette qui longe la maison, passe devant la cuisine, et termine dans la rue. Esther se cache entre les draps pendus, elle rit toute seule de plonger dans le drap encore mouillé, et de réapparaître plus loin, le visage rafraîchi. Elle aimerait pouvoir s'accrocher, mais à quatre ans, elle sait que le fil ne résisterait pas. Samuel brancha l'imprimante, et lança l'impression sur papier jaune orangé. Après quoi, il s'appliqua à écrire la lettre sur un morceau de papier jaune d'or, dont les bords étaient laissés déchirés avec soin. C'était un beau papier épais, à la trame visible et sensible, et qui ne buvait pas l'encre. Samuel appréciait cette attention, pour un papier messager, qui ne s'appropriait pas le texte, et laissait la plume glisser. Il déroula sa plus belle écriture, celle qui l'obligeait à attendre la fin du mot pour placer les accents, les points sur les i, et les barres sur les t. Il l'avait apprise tout seul, lorsqu'un jour il avait décidé de changer sa graphie. Presque toutes ses lettres avaient les boucles qui rendent l'écriture plus fluide, à part le b qui restait inexplicablement fidèle à la graphie "bâton". L'encre noire s'écoulait doucement de son stylo. Avant son changement, il avait horreur d'écrire. Depuis, il en avait une appréhension. Il lui fallait du temps, et s'il arrivait à former de belles lettres, il pouvait même être fier de son oeuvre. Écrasé sur sa feuille, il adorait observer chaque lettre au compte fil. N'importe quel texte agrandi dans des proportions exagérées prend subitement une valeur particulière. Le texte change de dimension, il se transfigure, il se transforme en objet, il étonne par sa manifestation intempestive. La rencontre avec une fourmi d'un mètre vingt cinq ne ferait pas un effet différent. Samuel était concentré sur la ligne, il devait arriver à la fin du texte sans avoir fait de rature. Il n'hésitait pas à relaxer sa main crispée, ou à essuyer la moiteur de sa paume. Paris, le 13 janvier 1997. Ma très chère Sirène, Te reverrai-je vraiment, cette semaine, ou ce mois-ci, ou cette année qui vient? Cela n'a pas grande importance, après tout; le temps passe vite, et les avis changent aussi rapidement. Je tiens cependant à te donner ces deux poèmes écrits dans un accès d'enthousiasme, et qui dorénavant ne m'appartiennent plus. Je les ai écrits pour moi, et par toi. Les voilà pour toi, et par moi. Le don d'inspiration, bien qu'involontaire, est suffisamment précieux pour qu'il ne soit récompensé que par une réserve trop fière et paresseuse. A l'amour virtuel en ce temps d'inexistence, Samuel.

La tirade paraissait percutante, il lui fallait maintenant joindre les poèmes promis. Il pensait l'avoir perdue, la chaleur le poussa dans un supermarché. Au rayon jus de fruits frais, elle hésitait entre le pamplemousse rose et l'orange sanguine. Elle avait toujours ses jumelles autour du cou, qui pendaient dans les bouteilles lorsqu'elle se penchait. Il s'intéressa de très près à la marque de jus disposée en face d'elle. Ce jus était fabriqué avec les meilleures oranges de Floride, il avait été pasteurisé en le portant à ultra haute température pendant quelques secondes, sa date limite de vente expirait dans deux jours. Il était convaincu. Elle était partie. Samuel passa lentement la grande grille du parc Monceau. Il l'avait vu venir de loin, il avait eu le temps de se préparer. Il se sentit honoré d'être admis à passer librement cette porte solennelle. Porte: le mot paraissait frêle. D'autres langues ont un mot pour la vulgaire porte que l'on a chez soi, et que l'on passe et repasse sans attention, et un mot pour l'entrée d'une ville, d'un palais.

Sur le chemin de la grande Porte d'Ishtar, des lions vivants l'accompagnent au bord de la voie de faïence bleue, les pavés du Yellow Brick Road le mènent à la grande Porte de Damas de la ville d'Or. Il faisait chaud, il faisait beau, la poussière aveuglait les garçons en chemisette blanche et les petites filles en robe rose à col claudine. Les tuyaux d'arrosage frottaient leur mélodie d'insecte en pleuvant sur les nénuphars. Samuel s'endormit sur son banc. A dix heures du soir, le parc était fermé depuis environ quarante trois minutes. Samuel marcha pour se réchauffer, il avait soif malgré la fraîcheur de la nuit. A la fontaine, des chats s'agrippaient au robinet pour y boire. Deborah avait une authentique phobie des chats. Elle craignait tous les animaux à fourrure, sauf les hommes. Ses deux psychanalystes n'avaient pas encore réussi à en déterminer la cause. En attendant, elle se bourrait de médocs, et de bonbecs accessoirement. Son objectif était d'atteindre le grand orgasme tantra, sur lequel elle avait une documentation fournie dans sa bibliothèque. Ses yeux bleus enfoncés, en amande, ressortaient dans l'encadrement de ses lunettes en métal argent. Sa peau rose, qui supportait très mal les barbes trop dures, complétait ses cheveux blonds blanc raides, qu'elle tirait en chignon pour les faire tenir par une baguette chipée dans un restaurant chinois. Son horreur des poils avait trouvé à se vêtir dans une robe Courrèges en plastique, une robe en trapèze qui s'arrêtait aux genoux, séparant son corps en deux lignes verticale et horizontale, pour former un damier noir et blanc. Garder un environnement suffisamment hygiénique était une préoccupation constitutionnelle. Elle mettait une méticulosité toute médicale à poser les préservatifs usagés dans un cendrier particulier (lequel passait plus tard dans la machine à laver la vaisselle avec les tasses, casseroles et poëles), ou à vérifier que ses amants ne posaient pas les pieds au sol avant de rentrer dans le lit. Les positions étaient discutées avec une liberté de parole qui instauraient un climat d'état major en situation d'attaque, trahie seulement par des frissons appuyés à l'évocation, par elle-même, de la culpabilité à l'idée des revers essuyés.

Il s'assit sur un banc. Il commençait à faire froid. Samuel se demanda si le parc était gardé, si des animaux y rôdaient. Il avait entendu dire qu'au jardin du Luxembourg, des hérissons sortaient la nuit autour du bassin. Il trouva un journal dans une poubelle et sépara les pages pour s'en faire une couverture. Le papier journal est un très bon isolant, il est léger, mais il craquette et pétille, comme les couvertures de survie, et le risque n'est pas mince, le matin, de se réveiller marqué de la météo au poignet droit, des programmes de la télévision à la main gauche, et d'un gros titre "Il tue sa femme pour du beurre!" sur le front. La tête calée entre deux lattes du banc, les jambes repliées pour garder le dos droit, le journal s'étalant sur son ventre replié à la hauteur du cou, Samuel observait le ciel. La nuit était déjà sombre, les nuages légers passaient doucement devant la lune pleine. Le cycle de la lune fait vingt sept jours sept heures quarante trois minutes onze secondes. Cela faisait vingt sept jours (il faisait grâce du reste) que Sirène n'avait pas réapparu. Elle était maintenant plus nette. Vingt sept était un joli chiffre. La nuit avait commencé, une nouvelle journée aussi. Les ruines du parc se faisaient douces, ou inquiétantes. Il aimait la mièvrerie des fausses ruines. Il aurait enchâssé des épées dans les rochers, ou planté dans le décor des jeunes filles peintes par Boucher, en robe sage et en sourire invitant. Il aurait entendu des grenouilles, des grillons, toutes sortes d'animaux dont il confondait le nom, mais qu'on met toujours dans une mare, ou au bord de la mer, ou dans les prés.

En fond, des voitures passaient, frottant l'air, et l'échauffant. Il aimait le bruit de fond des voitures. Le bruit de la rue, la nuit, la nuit calme, sans voix d'hommes. Le samedi soir, Samuel dort chez sa grand-mère. De la fenêtre, de laquelle il n'a pas le droit de se pencher, il admire sa statue préférée: la tour Eiffel. La nuit, les rideaux cachent les voilages, des rideaux jaune moutarde, usés et épais. On ouvre pour lui le lit dans le salon. L'appartement est silencieux, mais toutes les heures, l'horloge sonne son carillon baryton. Samuel sait que c'est l'heure. Il n'aime pas se lever, après, pour aller aux toilettes. Il faut passer dans le couloir qui mène à la chambre du fond, à la moquette verte râpeuse, puis dans le long cagibi à flanc de cour, dont le sol gèle les pieds. Quand il le faut, Samuel court s'en débarrasser, pour revenir dans la chaleur du lit. Il ferme les yeux; dans la nuit, on entend les voitures qui passent, vite, et qui rassurent. Le lendemain matin, Samuel se réveilla avec d'affreuses courbatures dans le dos, et sur les cuisses. La nuque raidie, les cheveux défaits, il était sept heures. Il s'aspergea la figure d'eau gelée, et s'enquit de trouver une sortie. Un gardien indifférent lui ouvrit une petite porte dans la grille.

Le boulevard prenait des couleurs. Samuel pensa que tout avait un sens, et qu'il suffisait de bien vouloir le donner. Il reconnaissait peu de qualité intrinsèque à ce qui l'entourait. L'intentionnalité lui paraissait tellement constitutive du monde environnant que lorsqu'elle lui manquait, il se retrouvait comme le bûcheron qui a scié la branche sur laquelle il était assis, il s'enlisait dans une mare de subjectivité qui finissait par l'engloutir. Il constatait alors avec une objectivité soudaine qu'il était englué, la tête dépassant à peine d'un substance gluante et sablonneuse, ce qui lui permettait encore de respirer. Le reste du temps, les événements s'enchaînaient, et une bonne volonté naturelle le poussait à croire qu'avec un peu de peine, il pouvait bien rendre aux événements un peu du sens que ces derniers lui avaient donné. Ainsi, il avait faim: il se dit que cela signifiait sans doute qu'il fallait manger. Le café arborait sa carotte rouge. Samuel ne savait pas encore que la carotte était la plante des amateurs de tabac, il ne savait pas encore qu'elle absorbait l'humidité, il ne croyait pas encore que l'enseigne du café figurait une vraie carotte, mais une carotte de tabac à chiquer. D'ailleurs, il ne chiquait pas, et ne fumait pas. En revanche, il ne dédaignait pas un café au lait et une, et pourquoi pas deux tartines. Samuel resta debout au comptoir, le sol était carrelé de tessons de céramique lait, café et châtaigne. C'était moins salissant. Les bottes blanches qui entraient, en revanche, devaient bien être salissantes. Il remonta jusqu'aux jumelles. Tiens, que regardait-elle aujourd'hui? Les paquets de cigarette. Samuel était fasciné par les étagères à tabac. C'était un monde dans lequel il n'osait pas pénétrer, mais il en aimait les couleurs des marques, les différences de taille, les variétés de qualité, et se demandait quel critère pouvait bien pousser un paquet à être choisi à un autre.

Samuel porta sa tasse à ses lèvres. Derrière le café, le parfum de Sirène apparut. Il fut étourdi de sa ténacité. Il l'avait marqué la veille: celui de Sirène au poignet droit, son répondant masculin au poignet gauche. A sa droite, il portait un fond fleuri, sucré comme un bonbon blanc, une odeur de peau translucide au caractère affermi. A sa gauche, une odeur épicée, presque brutale, mais persistante, un mélange de musc, de cèdre, de poivre, de clou de girofle: l'image de cette plante si enthousiasmante, la fougère. Il aimait l'intention naïve qu'il avait mise dans ce marquage temporaire de sa peau. Joignant ses mains, il appliquait l'un contre l'autre les principes féminin et masculin. Elle demeurait à sa droite, présente par le sens le plus direct, le plus inconscient, le plus violemment suggestif. Il portait ce parfum comme un aide-mémoire, comme un objet à chaque bras. Samuel voulut payer son café et ses tartines. Le patron resservait à un client un quatrième verre de calva, "Ca aide à choisir le bon cheval", disait-il, et il discutaient de courses, de terrains boueux, et de couleurs de casaques. Samuel ne savait pas comment interrompre la discussion, il attendait patiemment, son argent ostensiblement tendu au bout de son bras, espérant attirer son regard, et craignant de le faire.

En face du Palais de justice, en face de la Préfecture de police, en face du café qui fait le coin de la place, en face de l'entrée des artistes du Palais, du kiosque à journaux, la rue est coupée en deux par un passage pour piétons. La circulation est bruyante : c'est le point de passage nord sud de la ville, à travers le fleuve. Samuel aimait particulièrement le feu rouge planté au bord de ce passage. C'était un de ses feux rouges préférés. Il commençait toujours par une des trois couleurs rouge, orange, ou vert, et jamais n'en changeait. Chaque feu a son individualité. Aucun n'est réglé de la même façon. Certains sont dépendants de ceux qui précèdent, ou qui suivent: ils sont synchronisés. Certains ont un rouge beaucoup plus long que le vert, et un orange furtif. Certains ont un vert continu, et leur rouge dépend du piéton qui appuie sur son flanc. Mais Samuel n'avait jamais vu de feu dont l'orange soit la couleur prédominante. Aussi admirait-il particulièrement les feux dont le vert est un jaune clignotant. C'était la preuve que, malgré tout, certains avaient réussi à se montrer sous un jour différent, même en gardant les trois signes de base. C'était une écriture nouvelle. Mais le feu du Palais n'avait rien de ces spécialités. Il avait l'air sobre et dominait le monde qui passait: a ses pieds, les avocats en robe dans la rue, les policiers gardant l'entrée des auxiliaires d'une justice sans doute en béquille, les touristes qui faisaient la queue pour visiter la malade, au fond à gauche, le tailleur des corbeaux, avec ou sans hermine. Dans ces moments là, Samuel ne faisait rien, n'avait conscience de rien. Il se concentrait sur le passage des couleurs, et rythmait les trois mesures. Il les remplissait de temps variés, accommodait les trois temps, les quatre temps, les triolets, les croches; il n'avait pas de préférence. Mais pendant les notes carrées, pendant les silences, il avait une conscience aiguë: il se sentait vieillir, il sentait le sang tourner en rond dans le circuit intérieur, il sentait ses cheveux pousser et sa peau se détacher. Ses yeux restaient ouverts, et ses paupières avaient soin de se taire. Et il aimait écouter le temps passer, l'emporter vers un futur qu'il attendait meilleur, vers un écorchement de la chair, vers un durcissement de ses sens. Il se condensait, prenait un poids terrible, les bras s'immobilisaient. Une architecture s'organisait, un contrepoint des sons et des formes. L'équilibre devenait illusoire. Le sol basculait, virant sa verticalité de plusieurs degrés. Il le savait. Alors, le monde prenait son importance la plus immédiate, et il en était reconnaissant aux feuilles, à l'asphalte, aux grilles des jardins, aux portes des immeubles, par dessus tout il était reconnaissant au vent de balayer le sol, de soulever la poussière, de sécher ses yeux. A la station Saint-Germain des près, Samuel passa le portillon.

Il descendit les marches, deux par deux. Le quai s'ouvrait. La revue commençait quand il arrivait à la dernière marche. Qu'y avait-il aujourd'hui? Un couple de Japonais identiques, les dents en avant (la femme, ancienne prostituée, s'était enfuie avec un client, agent de voyages: ils craignaient d'être retrouvés par le souteneur, et profitaient de chaque moment de la vie), un homme au ventre bedonnant et à la tête fichée dans le torse (il avait eu trois enfants avec une femme qui avait été plus tard renversée par un train, c'était un père excellent), une jeune fille aux longues jambes, un fil tressé dans les cheveux, qui discutait avec deux camarades ("l'année dernière, on allait dans un snack." "Un snack?". "Oui, un snack: c'est comme un self"), un homme d'âge incertain, grosses lunettes carrées, consultant un traité de mathématiques (qui avait fait une tentative de meurtre sur la personne de son voisin à l'aide d'une roquette artisanale), une femme accompagnée de ses deux jumelles, adorables dans leur ensemble en lin mélangé, au col bleu marin (qui continuait à se demander si elle n'avait pas mélangé les berceaux à la naissance, et inversé les fillettes), une femme d'aspect ingrat (qui ne faisait que rendre le peu qu'on lui donnait). Elle lisait la page astrologie d'un magazine de télévision. Samuel était toujours surpris de constater que les stéréotypes se trouvaient à chaque coin de quai de métro. Il avait entendu parler de ces femmes qui consultent les oracles dans les magazines à couverture rouge. Les rencontrer lui procurait le plaisir qu'éprouve l'entomologiste qui ramasse, alors qu'il ne s'y attendait plus, un scorpion doré à tête double, ou une salamandre verte à épine rigide. Dans le métro, il ne risquait pas de rencontrer Sirène. Elle ne s'abaissait pas à descendre dans ces profondeurs, et ne fréquentait sous aucun prétexte ces sombres rivages. Samuel se boucha les oreilles. Parfois, les rails crissaient si fort dans les virages que le bruit devenait insoutenable. La plupart des voyageurs avaient l'air de ne pas y prêter attention. La revue pouvait continuer. Certains matins, il rencontrait l'adorable blonde, fière et dédaigneuse, un peu boutonneuse, accompagnée parfois de son petit frère. L'âge était pour Samuel toujours incertain. Quel âge avait-elle donc? Et la question signifiait : que peut-elle bien avoir pour activité dans la vie, suis-je autorisé à m'y intéresser, quelle conversation peut-elle avoir? Il fallait aussi pouvoir l'identifier. Depuis que Joachim vivait à Chicago, Samuel avait perdu l'habitude de trouver des surnoms. Joachim s'en était fait une spécialité: il l'avait longuement entretenu de la Surfeuse des Neiges, de la Danseuse du Ventre, de l'Imbécile de Cleveland. Dans la douceur de son lit, Sirène dormait. Les cheveux éparpillés sur sa figure, les mains jointes dans le dos, elle rêvait sa respiration difficile. Le Prozac la maintenait dans une euphorie qui durait une bonne partie de la nuit. Elle s'effondrait en début d'après-midi. Sirène abandonnait toute idée de travailler à ses examens, se mettait sous la couette, et entamait un sommeil profondément agité. Son corps moite, les rondeurs de son dos qui tirait sur les boutons de sa veste, l'épaisseur des cuisses qui tendait ses vêtements, se libérait. Sirène redevenait la petite fille qu'elle était, et parfois se mettait à sangloter. Elle s'était endormie en pleurant, et, dans ses songes, continuait les larmes. Sa mère entre, nue, elle est grossièrement fardée, une sucette à la bouche. Elle ouvre la penderie et sort un pantalon en cuir qu'elle enfile sur la peau. "Sort d'ici, c'est à moi!". La mère ne voit rien, elle sourit, son visage s'allonge, elle ouvre une mâchoire de crocodile, elle sort une langue d'oiseau. Son torse se couvre de plumes, elle se recoiffe de ses ailes, se dirige vers la commode et commence à boire les lotions. "Non, ça suffit, arrête" murmure Sirène "tu vas, tu vas me décoiffer, tu vas me démaquiller!". Sa mère ouvre les tiroirs, et en sort les photos en pâte de coco, les lettres en bonbon translucide, des lettres rouges, des lettres vertes. Elle se tourne vers Sirène et les renifle doucement : "Qui est-ce qui va manger tout ça? Tu vas bien faire plaisir à Maman". Elle engouffre une photo, qui crève comme un ballon rempli de poudre "Une cuillère pour Sirène", elle gobe une lettre qui gicle un liquide bleuâtre "Une fourchette pour Maman", elle suce une photographie et recrache une vapeur jaune "Un couteau pour Sirène". Sirène serre les poings, se jette hors de son lit, poignarde la bête à mains nues. Sirène se réveilla seule. A quatre heures, sa mère frappa à la porte : "Chérie, puis-je t'emprunter ton fond de teint xxxxx". Sirène ouvrit la porte en tee-shirt, lunettes noires sur les yeux. Elle s'était remise à pleurer.

Sur l'écran de son ordinateur portable, Samuel lança son programme de navigation sur le net. Cet expression lui donnait envie d'enfiler un de ces pull marins boutonné sur le côté gauche, et qu'il est toujours horriblement difficile de fermer jusqu'au bout. Lhynne n'avait pas donné signe de vie depuis plus d'un an. Elle avait annoncé un engagement prochain dans la marine, en tant qu'ingénieur spécialisé dans les communications cryptées.

Il aurait été difficilement imaginable de lui trouver meilleur emploi. Lhynne, alias l'Imbécile de Cleveland, était une créature polymorphe, dont la consistance profonde demeurait mystérieuse. Il aurait fallu sortir des monceaux d'objets hétéroclites avant de simplement accéder à la porte derrière laquelle elle se terrait. Se targuant d'un détachement total des choses matérielles, elle avait abandonné chez Samuel la totalité de ses possessions, trois caisses remplies de livres d'occasion, d'habits déchirés, de parfums aux fleurs, de sous-vêtements élimés, de notes et de poèmes inachevés. Samuel avait vainement cherché une essence dans ces reliques. Il avait essayé d'en tirer une explication, d'en découvrir un point commun. Sommant ces objets de parler, il avait été réduit au silence par leur incroyable inertie. Dans un accès de fureur, Samuel avait promis leur expulsion irrémédiable, et, devant l'indifférence de leur maître et propriétaire, il avait été contraint de les déporter au pied du nouveau domaine d'où officiait l'enchanteresse. Au coin de la rue du Louvre et de la rue du Coq-Héron, en face de la poste qui paraît-il reste ouverte toute la nuit, Samuel avait d'un soleil couchant jaune à rayures roses peint l'endroit où il avait pour la dernière fois revu sa cryptographe. Le lieu devait pour longtemps rester marqué de l'attrait de l'interdit, et souvent ses promenades le menaient de façon incompréhensible vers le centre de Paris, entre la rue Montmartre et la rue Saint-Honoré. Le charme fut rompu lorsqu'il apprit, plus tard, qu'elle avait déménagé vers le nord de la ville. A cette époque, le soleil jaune et rose avait été rongé par la pluie, et le passage des bicyclettes. L'écran de l'ordinateur afficha l'enseigne de l'annuaire mondial, avec cette devise : retrouvez tout le monde partout. Au nom de Lhynne XXXXXX, le serveur ne trouva aucune réponse. Samuel essaya une autre ville que Philadelphie, un autre Etat, le Canada, le Mexique. Il n'avait que son adresse, et son ex-numéro de téléphone. Son dernier voyage aux Etats-Unis l'avait obligé à faire escale dans la ville de l'Indépendance et de la soul à grand orchestre et paillettes. Au téléphone, ses multiples tentatives échouèrent dans le babillement d'une petite fille qui répondait en espagnol que son père était absent. Les informations téléphoniques lui confirmèrent l'adresse, mais turent le nouveau numéro de téléphone, sur liste rouge. La cryptomane avait mérité son nom. En changeant de recherche, Samuel eut la preuve que le service fonctionnait. Au numéro 3657 d'une mystérieuse Druid Valley, il retrouva l'adresse de Hal, qui habitait la Géorgie depuis 5 ans. Un autre aurait-il pu retrouver Samuel grâce à ce service? Il fallait tester la machine. A la troisième réponse, Samuel vit le nom de son père apparaître. L'ouverture de la Flûte Enchantée jouait son triptyque. Pamino était poursuivi par un serpent. Zu Hilfe! Zu Hilfe! Qui allait bien pouvoir l'aider?

Le père de Samuel avait disparu en peu de temps. Pendant un mois, il était à l'hôpital. Un jour, la mère de Samuel rentra à la maison en lui annonçant que tout était fini. Il eut droit à des larmes dans le manteau de vison. Samuel ne vit pas vraiment la raison de ces pleurs, et il était surtout préoccupé de voir son entourage prendre un air si affligé. Quelques mois plus tard, son oncle l'emmena au cimetière Montparnasse. Là, sur un affreux blockhaus de marbre rose, une inscription dorée du goût le plus douteux annonçait la présence de Daniel XXXX, mort à l'âge de 36 ans. Pour s'assurer qu'il ne s'échapperait pas, l'oncle de Samuel s'empressa au décès de son propre père de poser par-dessus sa lourde dépouille, confite dans un cercueil capitonné. Et afin qu'il soit bien gardé à l'avenir, la concession à durée maximum fut prévue pour trois autres personnes. La place était prévue pour l'oncle, Zebulon, la tante, Malka, et la grand-mère de Samuel, Myriam. Le benjamin était enfin revenu dans la famille, on n'allait pas le laisser à nouveau s'échapper. Samuel ne fut jamais très impressionné par les visites imposées dans le carré sud-est du cimetière. L'essentiel du rituel consistait d'abord à remplir d'eau un bidon bleu qui avait contenu de la poudre à laver. Arrivés devant la tombe, il était de rigueur de prendre un air compassé, de verser quelques larmes, d'embrasser le granit froid et poussiéreux. Mais comme ce premier nettoyage ne suffisait pas, il fallait encore passer au lessivage. Le coeur de la cérémonie était de savoir s'il fallait passer le chiffon mouillé sur les dorures ou non. Ensuite commençaient les prières dûment rabâchées par le frère de Myriam, un homme essoufflé, dont personne ne doutait qu'il serait toujours là pour garantir un service qui, pour indispensable qu'il apparaissait, semblait ne pouvoir être assuré que par lui seul. Souvent, le jovial grand-père de Sirène venait compléter le compte de dix hommes sans lesquels il n'était pas possible de dire les prières. C'était par dessus ce bruit de fond que Zebulon déclarait, sans manquer de soulever l'indignation horrifiée et automatique de Malka, qu'il faudrait bientôt venir le voir, et qu'il allait sous peu soulever le couvercle pour rejoindre les mâles de la famille. Après quoi, il était temps de partir. Samuel n'avait pas été convié à la cérémonie d'inauguration de ce monument au lessivage. C'était donc avec une grande perplexité qu'il admirait la ferveur avec laquelle ses cousins s'empressaient de figurer au nombre des dix indispensables, et avec laquelle ils embrassaient ces deux noms décorés, au risque non négligeable de repartir les lèvres aussi dorées que les talons de leurs chaussures repartaient dorés par les pieds des fauteuils chez leur grand-mère. Une musique de cabaret jouait maintenant. Les cuivres glissaient, les timbales sonnaient. Ah, la comédie pouvait commencer. Un chat lui sauta sur les genoux.

Samuel se dit qu'il était bien pratique de pouvoir ainsi exiger et imposer son affection. Vous avez le siège près de la fenêtre, rang numéro 35. Samuel avait choisi le côté de la fenêtre, mais il était assis juste au-dessus de l'aile, ce qui gâchait plutôt la vue, et l'obligeait à des contorsions pour apercevoir le décor en bas. A côté de lui, une femme d'une cinquantaine d'année accompagnait son mari. Cette américaine du Wisconsin avait rencontré son mari à l'université, à Chicago. Il avait continué sa carrière pendant qu'elle avait décidé de consacrer son temps à l'étude de la peausserie indienne du Dakota. Samuel repris du café, et puis du thé, et il eut du mal à se souvenir dans quel ordre. Il aimait les repas d'avion. Tout était présenté en même temps, il pouvait piquer dans l'un ou l'autre des plats. Derrière le hublot, il faisait un beau temps de plein soleil, de rigueur à ces altitudes. Samuel se demandait s'il pourrait vraiment marcher jusqu'au bout de l'aile, qui avait l'air si fragile. Où était la sortie, d'ailleurs? Les toboggans oranges, les gilets jaunes sous le siège (mais où exactement), les pots de fleurs attachés à des ficelles que l'on voyait tomber sur les films de présentation. Tout ça paraissait bien hypothétique. La femme à côté lui expliquait à présent comment les peausseries étaient tannées, étendues au soleil pendant des semaines, avant d'être transformées en bottes, gilets à franges. Le vin filtrait heureusement la suite de paroles. Samuel se demandait quelle tête Margaret aurait à présent. La dernière fois qu'il l'avait vue, il s'étaient donnés rendez-vous dans le métro, à la gare principale de Toronto. Il l'avait vue arriver derrière la poubelle au coin du couloir, à l'angle où le kiosque du marchand de journaux se termine. Il avait pourtant attendu qu'elle passe devant lui pour se convaincre que c'était bien elle. Maintenant, les lumières avaient été baissées pour la programmation du film, et la réincarnation de Jean-Sébastien Bach apparaissait sur l'écran. Il était évident que Bach s'amusait énormément à toucher son pianoforte amélioré, et pour mieux admirer le vernis des touches, il avait pris l'habitude de s'asseoir sur une chaise démesurément courte. Les morceaux, tellement connus de ses doigts, jouaient tout seuls. Mais le pianiste ne restait pas inactif. Ils faisait encore l'effort de chanter. Au début, tant d'empressement à venir l'écouter ne pouvait que susciter un enthousiasme tout particulier de sa part, et puis, il se lassa, et pour passer plus de temps à faire des farces téléphoniques, Jean-Sébastien avait abandonné. C'est que, dans ce tour là, il avait cessé de composer, il était réduit à donner l'interprétation finale de ses propres vieilleries. Bach était mort pour la deuxième fois en tant que musicien, et Toronto l'acclamait. Au hublot, malgré l'aile, on voyait déjà la CN tower. Margaret l'avait accompagné au sommet. Samuel aimait les tours, mais il détestait les montagnes russes. De la grandeur, mais pas de témérité.

Samuel prit le train seul pour arriver à la gare centrale de Toronto depuis l'aéroport. Margaret n'avait pas pu, voulu, ou décidé de venir le chercher plus loin. La gare centrale était donc un compromis. Samuel restait engourdi à l'idée de la revoir, à l'idée de voir enfin l'objet de ses désirs, dont ses amis lui avaient longuement expliqué qu'il ne suscitait pas chez lui de l'amour, mais du désir, dont il ne suscitait pas de l'affection, mais une cristallisation de ses fantasmes sur une seule et même personne. Le cristal venait d'apparaître au détour d'un long couloir de la station de métro de Toronto où ils s'étaient donné rendez-vous. Samuel resta perplexe à la vue de cette pierrerie, qui, littéralement, ne pouvait pas être aussi belle et être néanmoins vraie. Et il la laissa passer devant lui, comme les cent cinquante sept passants qu'il venait de laisser passer devant lui depuis qu'il s'était planté au détour de ce couloir, anxieux pour ses bagages, anxieux de l'apparition qui ne devait pas manquer de prendre place, là, non loin du kiosque à journaux, à boissons glacées, allégées en sucre, sur-sucrées, à barres chocolatées, cacahuétées, amandées, riz soufflées, noisettées, dans lequel une jeune femme de vingt-huit ans et demi, prénommée Mary, passait huit heures de sa vie, du mardi au dimanche, de dix heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, depuis bientôt dix ans, alors qu'elle n'avait pris ce travail que comme un pis aller saisonnier.

Samuel, qui avait laissé passer Margaret, se retrouva donc à lui courir après, et à l'aborder comme si, ébloui par sa vision pour la première fois dans ce long rectangle de béton creusé, éclairé d'une multitude d'ampoules longitudinales remplies de néon, il avait été, par une impulsion soudaine, en demeure de lui parler.
Margaret montra ostensiblement qu'elle était choquée de cet abord, et elle imagina soudain comment Samuel avait pu la voir, à au moins une quinzaine de mètres de distance, l'avait vu approcher, l'avait observée, alors qu'elle était manifestement dans l'attitude incertaine de quelqu'un qui cherche, dans un flot d'inconnus, un visage qui lui est familier. Margaret se représenta rapidement comment Samuel, qui avait passé au moins huit nuits avec elle, avait embrassé son visage environ trente cinq fois par jour, sans compter la nuit, puisque l'approche continue des joues et de la langue ne pourraient donner lieu à un décompte rationnel qu'après des calculs trop complexes pour que l'on puisse s'y attarder, avait pu ne pas la reconnaitre, avait froidement reçu la lumière provenant du plafonnier au néon, réfléchie sur sa peau et entrée dans ses pupilles jusqu'au fond de son oeil, sans que son cerveau n'analyse l'image comme ne correspondant à aucune de connue, c'est à dire aucune image semblable préalablement enregistrée.
Tant de fierté fut mise en jeu pour un piètre résultat. Samuel attendit d'abord deux jours que Margaret veuille bien finir un important devoir d'économie urbanistique. Samuel l'accompagnait dans le basement, la regardant travailler pendant que le chat montait sur ses genoux. Samuel l'attendait pour voir la ville. Samuel la précédait lorsqu'ils allaient chercher des donuts. Le troisième soir, Samuel se résolut enfin à avoir l'audace de vouloir l'embrasser. Sur le pas de la porte de sa chambre, il l'enlaça fort. Elle lui rendit son embrassade, seulement pour lui signifier qu'ils devaient parler, et lui indiqua le chemin de la cuisine. La cuisine était en effet située tout en bas de la maison familiale, dont l'architecture ouverte autour de l'escalier central permettait une habile circulation de chaque son dans chaque pièce de l'appartement, depuis le basement, derrière le garage, jusqu'à la chambre parentale du deuxième étage, et depuis la chambre de Margaret et la chambre des invités, sous le toît, jusqu'à la chambre parentale au deuxième étage, pour se voir expliquer qu'ils n'étaient pas compatibles et que leur relation ne pouvait mener à rien, et qu'en définitive il ne pourrait espérer aucun rapprochement de ses lèvres d'avec les siennes, sans même évoquer, puisque celà ne serait que pure frustration, aucun rapprochement d'aucune sorte.

*

Samuel entra dans le réfectoire du restaurant universitaire, organisé en une longue salle vitrée des deux côtés de sa longueur, un côté faisant face à la rue, et l'autre ouvrant sur les portes donnant sur les amphitéatres, les deux autres côtés étant l'un la cafétéria, l'autre le restaurant proprement dit, et remonta l'allée dont la perspective était renforcée par quatre lignées de courts lampadaires tubulaires, espacés d'environ deux mètres.

Alors qu'il remontait l'allée sans avoir marqué le pas à l'entrée, la porte vitrée étant ouverte, Samuel fut frappé de constater que chacun des hommes et femmes assis devant leur plateau repas, composé d'un verre rempli de liquide, d'une assiette remplie de solide et semi-liquides, d'un morceau de produit céréalier solidifié par la cuisson et d'outils de découpage métalliques étaient pourvus d'une longue trompe qui émargeait d'entre les yeux pour descendre, flexiblement, jusqu'à environ 12 centimètres de leurs assiettes.

Tant les hommes, le plus souvent blonds, les cheveux longs et attachés dans le dos, que longs et pendant de chaque côté des oreilles, ou chatains et bien peignés avec une raie sur le côté droit que les femmes, les cheveux noir corbeaux, et ce n'est pas une vaine comparaison, tans le noir du pelage du corbeau est véritablement noir tant il absorbe la lumière solaire ou artificielle, coupés courts derrière la tête, au carré, que roux ou blonds, attachés en couettes, nattes, queues de cheval, haut sur le crâne, ou en variante, bas dans le cou, avec les cheveux retombant devant, en frange droite ou séparée au milieu, ou en frange droite et cheveux lâchés de chaque côté du visage.

Samuel pris soudain peur, et il continua à marcher, comprenant, à mesure qu'il approchait du rail sur lequel circulaient les plateaux pour la distribution de la nourriture, que, sans doute, tous n'étaient pas ainsi pourvus.

*

Stockmann's Aalto Café.

Un couple d'une soixantaine d'années, parlant russe, se tient debout devant la vitrine remplie de patisseries, crémeuses, aux fruits, glacées dans la cloche en verre, qui les éclaire d'un néon vif, réfléchi plusieurs fois dans le couvercle métalliqué, diffusé sur le marbre blanc, veiné légèrement de gris-bleu.

Le couple s'est assis, autour d'une table ronde, à la base ronde métallique jusqu'à la moitié du pied, qui laisse apparaître un tube en bois dans la partie qui jouxte le plateau de marbre, le même marbre que celui de la cloche froide.

Ils ont changé de place, préférant le confort d'un plateau en bois clair, carré, et des deux sièges en cuir, rembourrés, aux formes carrées.

Faut-il se demander d'où viennent ces deux personnes.

D'où vient cet homme, au front dégarni, aux cheveux blancs, aux lunettes en plastique, blanc transparent autour des yeux, noir sur les côtés, et qui tousse lourdement en buvant un verre de jus servi dans un verre à vin.

Faut-il savoir d'où vient cette femme, qui porte une chemise à carreaux et un pantalon beige, amples tous deux, et dont la chevelure blonde, large, s'élève au dessus de sa tête, pour retomber, attachés par un ruban rouge, jusqu'au milieu de son dos.

Le couple s'est levé bruquement et vient de partir.

.......

*

Johanna voyait le monde comme une grande passoire remplie de bipèdes. Une espèce d'assemblée d'autruches misérables, se traînant chaque jour pour trouver de quoi manger, et manifestant l'impudence de se préoccuper de la disposition ou de la couleur de ses plumes. Et elle trouvait encore plus grotesque ceux qui n'avaient pas même cette inconscience.

Suite en construction -------
Interlude: la vague sans fin
Certains après-midi, il l'emmenait voir la vague qui ne tombe jamais. Ils s'asseyaient face à la mer et buvaient des cocos verts, à travers une paille. Et ils attendaient. Il faisait preuve dans ces moments d'une patience tout à fait inhabituelle. Il ne geignait pas, ne courait pas, et surtout, ne posait pas de question. La vague montait, montait, elle montrait sa crête blanche, elle bavait comme un chien prêt à mordre, et puis c'était tout. Jamais la vague ne tombait, jamais elle ne jetait quiconque à terre ; le sable sous elle restait limpide, et si l'on y avait jeté un anneau, on l'aurait retrouvé sans encombres. Le phénomène se reproduisait métronomiquement, et c'était inoubliable. A la tombée de la nuit, il fallait repartir. De toutes façons on ne voyait plus la vague, et par ailleurs on pouvait partir en toute confiance: on savait qu'elle ne trahirait pas, et qu'elle ne se déciderait pas tomber dès qu'on aurait le dos tourné. On pouvait lui dire au revoir en toute sérénité, sachant qu'elle serait là la prochaine fois. La vague représentait ce qu'il était exclut qu'une amitié apportât: la fidélité. Elle ne serait pas partie, elle ne vous aurait pas oublié, elle n'aurait pas vieilli, elle n'aurait pas joué sans vous, elle n'aurait même pas changé d'aspect, comme un rocher aurait pu le faire, se couvrant de blanc ou de vert suivant les saisons. Bien sûr, cela, lui seul le savait à présent. Il n'y avait pas de témoin vivant avec qui le faire revivre. Il était seul à se rappeler de l'endroit (et encore, pourrait-il vraiment y retourner), seul surtout à se rappeler de son existence. ? ? ?

13 novembre 1999

La maison de Daniel avait été construite sur mesure. Un grand couloir divisait un rectangle, autour duquel se répartissaient les huit pièces.

La particularité la plus remarquable était la construction des ouvertures donnant sur les pièces qui remplaçaient les portes, mais descendaient jusqu'à environ un mètre du sol, forçant les visiteurs à se courber jusqu'à ramper pour accéder à travers l'ouverture capitonnée. Le grand salon, comme le reste de la maison, avait ses fenêtres condamnées par de lourds volets, dissimulés par les rideaux de velours rouge. Les accessoires tranchaient sur la moitié du revêtement, laissé brut. Le sol avait gardé son dallage de béton, poreux, qui se désagrégeait peu à peu. les rideaux, le capitonnage des canapés en cuir s'imprégnaient de cette poussière blanchâtre qui s'éparpillait en suspension dans l'air, se mêlant aux fumées de la cheminée.

Des bûchettes de cèdre se consumaient en permanence dans la cheminée. L'odeur de cèdre dans ce décor imprégnait une image de pureté, irritant les yeux et les muqueuses.

 

15/11/1998

Modifié et non terminé, le 13 novembre 1999